La brigade financière enquête sur Sciences-Po Aix
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Mediapart 05 juin 2015 Par Louise Fessard et Jean-Marie Leforestier (Marsactu)
La procureure d’Aix-en-Provence a ouvert en avril 2015 une enquête préliminaire visant plusieurs irrégularités dans la gestion de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, dont le directeur a dû démissionner en décembre 2014 à la suite d’une affaire de diplômes bradés.
Après la Cour des comptes, dont le rapport provisoire vient d’être envoyé aux concernés, la justice s’intéresse à son tour à Sciences-Po Aix.
Le parquet d’Aix-en-Provence a ouvert en avril 2015 une enquête préliminaire visant plusieurs irrégularités dans la gestion de l’Institut d’études politiques. Celles-ci ont été découvertes début décembre par l’administrateur provisoire, Didier Laussel, à son arrivée à la tête de l’établissement. « C’est une enquête assez large, qui touche notamment aux formations externalisées et à d’éventuels faux diplômes, que nous avons ouverte suite à vos articles, puis à une alerte de certains responsables de l’IEP », explique Dominique Moyal, la procureure de la République d’Aix-en-Provence.
Pour renflouer ses caisses, l’IEP avait choisi depuis 2008 de nouer de façon opaque des partenariats avec plusieurs organismes de formation privés en France et dans le monde entier (île Maurice, La Réunion, Suisse, Chine, République démocratique du Congo, Arménie, etc.). Ces organismes, parfois nouvellement créés, promettaient aux étudiants du monde entier l’obtention de masters de l’IEP (bac + 5) en échange de droits d’inscription substantiels.
Au fil de nos investigations, c’est un véritable « IEP bis » qui était apparu, construit autour de l’ex-directeur adjoint de l’IEP, Stéphane Boudrandi. C’est via son master de management de l’information stratégique (MIS), décliné en de multiples parcours non soumis à habilitation, que s’est développé ce système exponentiel de sous-traitance de diplômes d’État.
Chargés de l’enquête, les policiers de la division économique et financière de la PJ marseillaise ont perquisitionné le 11 mai les locaux de l’IEP. « Ils m’avaient demandé de préparer un certain nombre de documents, mais des choses ont disparu, certaines personnes sont éventuellement parties avec des dossiers qu’elles considéraient comme personnels », explique Didier Laussel. Après la démission contrainte du directeur Christian Duval en décembre 2014, ce professeur de droit venu de l’université d’Aix-Marseille a été nommé par le ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur pour ramener un peu d’ordre au sein d’un institut secoué par une affaire de marchandage de diplômes d’État. Comme une dizaine de personnels de l’établissement, Didier Laussel a été longuement entendu par la PJ le 12 mai en tant que témoin à l’Évêché, l’hôtel de police de Marseille.
Mi-janvier 2015, plusieurs employés avaient été reçus par la procureure, démarche ensuite formalisée par un signalement réalisé en bonne et due forme par Didier Laussel. Ce dernier explique avoir alerté le parquet non seulement sur les « problèmes de diplômes » déjà mis au jour par un audit, mais également sur diverses « irrégularités » dans la passation d’un marché public pour la refonte du site web de l’établissement, une « possible prise illégale d’intérêt en lien avec les partenariats » et une « possible inscription illégale d’un étudiant ». « Pour l’heure, nous sommes encore en phase d’audit et de débroussaillage, indique prudemment Dominique Moyal. Dans un deuxième temps, nous identifierons les qualifications qui peuvent être retenues. »
C’est toute la gestion de l’ancien directeur Christian Duval, dont la femme est toujours responsable administrative et financière de l’Institut, qui est donc examinée à la loupe. Stéphane Boudrandi (qui n’a pas retourné notre appel) pourrait être entendu dans le cadre de cette enquête. Cheville ouvrière des partenariats douteux, ce consultant avait créé un centre de formation en intelligence économique et sociale de Sciences-Po Aix (CFIES) qui proposait des partenariats à des organismes privés, en vue de la délivrance de diplômes en formation continue. Le CFIES apparaissait comme une structure aux couleurs de l’IEP, mais il s’agissait également d’une société privée enregistrée en 2006 par le consultant sous le statut « profession libérale » avec comme activité déclarée « autres enseignements ». « Il y avait effectivement à la fois une structure interne et une structure privée au même nom, confirme Didier Laussel. Et nous avons trouvé une trace de facturation faite au nom de cette société. »
La refonte du site internet de Sciences-Po Aix, lancée début 2014, a, elle, coûté une somme faramineuse à l’IEP – près de 170 000 euros selon plusieurs sources –, pour un résultat jugé décevant en interne. « Pour cette somme, nous aurions dû avoir un site de fou », remarque un agent, sous couvert d’anonymat. Les policiers s’intéressent surtout aux conditions de passation de ce marché public. Deux sociétés ont travaillé sur ce projet « pour l’une sans aucun appel d’offres, ni marché public ; pour l’autre avec un appel à candidatures mais une convention et un avenant signés en décembre 2013, alors qu’ils avaient été rédigés en juillet 2014 », explique Didier Laussel. Selon une source interne, l’une des sociétés retenues se trouvait être actionnaire minoritaire d’une entreprise présidée par le fils d’Hervé Nédelec, à l’époque directeur de la communication de l’IEP.
Le ménage a commencé
Samedi 6 juin, le conseil d’administration de Sciences-Po Aix doit choisir un nouveau directeur, parmi trois candidats (Gilles Pollet, l’ancien directeur de l’IEP de Lyon, et deux professeurs de droit de l’université d’Aix-Marseille, Antoine Leca et Rostane Mehdi). « Ce sera à lui de décider avec le conseil d’administration d’éventuelles poursuites disciplinaires », estime Didier Laussel. Entretemps, le ménage a déjà commencé rue Gaston-de-Saporta, où l’administrateur provisoire est arrivé dans une « ambiance à couper au couteau ».
La directrice générale des services a été recasée au rectorat d’Aix-Marseille (à partir du 1er septembre). « Il est sain que l’IEP reparte sur de nouvelles bases », se contente de commenter Didier Laussel. Les contrats (CDD) de Stéphane Boudrandi, l’ancien directeur adjoint de l’IEP à l’origine de l’affaire des diplômes, et d’Hervé Nédelec, l’ex-directeur de la communication de Sciences-Po Aix et des masters journalisme et communication, arrivés à expiration fin 2014, n’ont pas été renouvelés.
Céline Le Corroller, directrice des partenariats de l’IEP, qui émargeait également à l’Institut de gestion sociale (IGS), un groupe d’organismes de formation privés, a pour sa part été licenciée pour faute. Elle n’avait pas jugé utile de signaler ce double emploi, alors même que l’IGS était le principal partenaire privé de Sciences-Po Aix. Selon un audit mené par l’université d’Aix-Marseille à la fin de l’année 2014, le groupe privé a commercialisé le label « Sciences-Po Aix » auprès de 316 étudiants en 2013/2014. Un fonctionnaire ou contractuel peut en effet exercer une activité annexe en parallèle, à la seule condition qu’elle soit « accessoire » et qu’il ait obtenu une autorisation de cumul. Et il lui est interdit de travailler dans une entreprise en relation avec son administration d’appartenance.
Didier Laussel a également mis fin aux fonctions du délégué à la formation continue, embauché en octobre 2013 pour trouver de nouveaux partenariats, Georges Nikakis. Il a fait l’objet d’un licenciement économique, l’objet de son poste disparaissant.
L’administrateur provisoire a aussi écarté Hervé Estampes. Ce dernier cumulait avec virtuosité un poste de directeur de l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes) et un autre de « maître de conférences associé à temps plein » à l’IEP, selon Didier Laussel. « Un temps plein de maître de conf’ associé, c’est 126 heures, ce n’est pas grand-chose, rétorque Hervé Estampes. En réalité, il m’a écarté car il voulait m’exclure du conseil d’administration. J’ai contesté mon éviction devant le tribunal administratif pour excès de pouvoir : je ne cumule pas deux emplois publics, car celui de l’AFPA est de droit privé. »
Ce départ précipité vient conclure le parcours tortueux d’Hervé Estampes au sein de l’école aixoise. La revue Débat formation publiée par l’AFPA en décembre 2012 précise qu’il occupait ce poste à l’IEP « depuis 1999 » pour « coordonner l’enseignement des finances publiques ». Elle omet de préciser que cet ancien magistrat financier avait connu une légère déconvenue en 2006. Alors magistrat à la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), il avait été épinglé par ses propres collègues dans un dossier qu’il pilotait pour l’IEP. L’Institut avait attribué sans mise en concurrence un lucratif marché public d’enseignement à distance à Magister Dixit, une société dont Hervé Estampes était actionnaire fondateur (via des apports en nature de cours et de fiches de lecture). Il s’agissait de « quelques cours pour 3 ou 4 000 euros », prétend-il aujourd’hui, alors que les statuts de la société valorisent son apport à 44 031 euros…
Récemment, le syndicat Sud AFPA a noté qu’Hervé Estampes poursuivait dans le « conflit d’intérêts », en versant une partie de la taxe d’apprentissage de l’AFPA à l’IEP, son second employeur. « C’est quelque chose de tout à fait classique, quand on est administrateur d’un établissement, de lui verser une part de la taxe d’apprentissage, se défend Hervé Estampes. On parle ici d’un peu plus de 10 000 euros, quand l’AFPA verse à l’année environ 200 000 euros de taxe d’apprentissage. »
La présidente du FMI, Christine Lagarde, qui présidait le conseil d’administration de l’IEP et avait soutenu jusqu’au bout la gestion de Christian Duval, a quant à elle prudemment pris ses distances. Son mandat d’administratrice, tout comme celui des cinq autres personnalités extérieures, n’était d’ailleurs plus valide depuis mi-avril 2014. « Elles avaient été nommées le 15 avril 2011 par l’ex-recteur Jean-Paul de Gaudemar pour trois ans, et Christian Duval avait omis de les renouveler », explique Didier Laussel. La présidente du FMI n’a pas été candidate au renouvellement de son mandat. « Elle a totalement disparu des écrans de contrôle, s’amuse un membre de l’IEP. Pour la première fois en quinze ans, elle ne viendra même pas pour les rencontres du Cercle des économistes à Aix [du 3 au 5 juillet 2015 – ndlr]. »
À son arrivée, Didier Laussel a également dû gérer les menaces de contentieux de plusieurs organismes privés, à la suite des nombreux partenariats résiliés en catastrophe par Christian Duval. L’administrateur provisoire a même découvert de nouveaux partenariats, qui avaient échappé à l’audit de l’université Aix-Marseille rendu début décembre. « Il s’agissait en particulier de conventions signées en juillet 2014 avec Le Moniteur et Le Territorial, dit-il. Heureusement, elles n’avaient pas encore été mises en œuvre. » Le groupe IGS, principal partenaire de l’IEP (qui n’a pas répondu à nos appels), réclamerait quant à lui 15 millions d’euros pour rupture abusive de la convention. Selon Didier Laussel, une solution serait à portée de main, avec l’aide du rectorat d’Aix-Marseille. Cette solution lèverait une sérieuse hypothèque financière pour l’IEP.
5 juin 2015 6:51