Ordonnances : la grande victoire des DRH
« Nous avons aussi pu prendre part à la genèse du projet, en amont et de manière informelle », précise Yves Barou (président du CA de l’AFPA) »
Les idées portées par la profession depuis des années trouvent leur accomplissement dans le texte des ordonnances Macron. Derrière ce succès, la nouvelle proximité des DRH avec le pouvoir politique.
« Le projet choc des DRH pour 2012 » titraient « Les Echos » le 17 juin 2011. Un quinquennat et deux campagnes présidentielles plus tard, les directeurs des ressources humaines sont peut-être arrivés à leurs fins. Aujourd’hui, tous font part de leur satisfaction à la lecture des 160 pages des ordonnances sur le « renforcement du dialogue social », présentées par Édouard Philippe, Premier ministre, et Muriel Pénicaud, ministre du Travail, le 31 août dernier.
Les DRH, porte-parole enthousiastes de la réforme
« C’est la première fois que je vois ça ! » s’exclame Jean-Luc Bérard, directeur des ressources humaines du groupe Safran.
« Ces textes donnent un cadre lisible et fait pour durer. Les règles de fonctionnement seront propres au lieu où elles s’exercent. Chaque entreprise pourra traiter selon ses spécificités. » Les 36 mesures semblent répondre, point par point, aux attentes de la profession. Au premier chef, la fusion des instances représentatives du personnel (IRP). « Dans les grands groupes, l’organisation du dialogue social est très chronophage, » souligne Sandra Enlart, directrice générale d’Entreprise & Personnel. « La fusion des IRP va considérablement alléger la tâche des DRH. »
Les DRH se font spontanément les porte-parole de la réforme. « Les ordonnances ont été rédigées dans l’écoute de tous, sans compromis ni fourre-tout inapplicable, » apprécie Jean-Luc Bérard. « Muriel Pénicaud et son équipe ont fait preuve d’un savoir-faire évident. La seule incertitude que nous pouvions avoir concernait la manière dont la concertation allait se passer. Et ça s’est très bien passé. » Pour Nicolas Bourgeois, directeur associé du cabinet de conseil Identité RH, Emmanuel Macron a su rallier à lui les professionnels des ressources humaines en utilisant leur langage. « En citant sans cesse l’exemple scandinave de la flexisécurité et de la culture du consensus, il a fait mouche auprès des DRH qui travaillent chaque jour dans cet esprit au sein de leur entreprise. »
Une proximité discrète et efficace avec la ministre et ses équipes
La concertation menée méthodiquement par la ministre du Travail et son équipe avec les syndicats, mais aussi avec les spécialistes de l’entreprise, est saluée par tous les membres de la profession. « Il y a un changement total de méthode, par rapport à la loi El Khomri » analyse Jean-Louis Vincent, DRH de SNCF Logistics. « La réforme n’est plus imposée par une seule volonté politique. Les ordonnances découlent d’un projet politique validé par le suffrage universel. Ensuite, elles suscitent des commentaires positifs, au moins pour la méthode déployée. » Les entreprises pourraient d’ailleurs en prendre de la graine, estime le DRH de SNCF Logistics. « La concertation organisée par le ministère est un très bon exemple de ce qu’il faudrait faire en entreprise. »
Muriel Pénicaud, ancienne DRH de Danone, a sans doute trouvé les mots pour rallier à elle ses pairs. « Le fait qu’elle ait exercé leur métier est un très gros point fort à leurs yeux, » confirme Sandra Enlart, directrice générale d’Entreprise & Personnel. « Elle a prouvé par son parcours qu’elle était capable d’imaginer des solutions innovantes et pragmatiques. Elle sait prendre en compte les attentes des parties prenantes, et leurs lourdeurs. »
Dans le vif du sujet avec Muriel Pénicaud
Un avis que vient appuyer le président du Cercle des DRH européens Yves Barou : « quand on a, comme elle, pratiqué le dialogue social en entreprise, on voit clairement quelles avancées sont possibles. Les seuls qui connaissent véritablement le dialogue social sont les DRH et les syndicalistes. Les politiques n’en ont qu’une vision très lointaine. » La ministre du Travail compte aussi parmi ses amis proches des DRH parmi les plus influents, qu’elle retrouve quand se réunissent « les canetons du Châtelet », ses anciens collaborateurs du premier cabinet de Martine Aubry. Il y a, parmi eux, Jean-Christophe Sciberras, aujourd’hui DRH de Solvay France, Yves Barou aussi président de l’AFPA et ancien DRH de Thales, ou encore Gilles Gateau, ancien DRH d’EDF devenu celui d’Air France. « L’été a été réservé à la concertation officielle avec les partenaires sociaux, mais nous avons aussi pu prendre part à la genèse du projet, en amont et de manière informelle », précise Yves Barou. Tous les DRH de grands groupes que « Les Echos Executives » ont contactés reconnaissent avoir été consultés de près ou de loin par l’entourage de la ministre ou du président. Emmanuel Macron s’est entouré de spécialistes des relations sociales, parmi lesquels Pierre-André Imbert, ancien directeur de cabinet de la Ministre du Travail Myriam El Khomri. Quant au directeur du cabinet de la ministre du travail Muriel Pénicaud, Antoine Foucher, il a la « fibre du paritarisme », assure un DRH.
Artisans et petites mains de la réforme
Les contacts entre professionnels des ressources humaines et pouvoir ne se limitent pas aux ors de l’Elysée et des ministères. Une association comme l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) est régulièrement auditionnée par le Sénat, pour défendre les recommandations de ses adhérents auprès de la Commission des affaires sociales. A l’Assemblée Nationale, on compte désormais plusieurs nouveaux députés LREM, issus la fonction RH : Cendra Motin, députée de l’Isère, fondatrice d’une société de conseil en RH, Valérie Riotton, coach en RH et élue en Haute-Savoie, Carole Grandjean, en Meurthe-et-Moselle, auparavant directrice des ressources humaines, pour ne citer qu’elles … « Voir ses pairs à l’Assemblée Nationale ou au gouvernement est un signal fort pour la profession, » estime Nicolas Bourgeois, directeur associé chez Identité RH. Eux aussi étaient au front pour défendre le projet de réforme, notamment à travers Laurent Pietraszewski, ancien responsable de la gestion des carrières du recrutement et de l’évaluation chez Auchan, député LREM du Nord et rapporteur du projet de loi d’habilitation « à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ». « Nous avons tous été élus sur la promesse de la transformation du dialogue social, la plus importante depuis 1982, » explique-t-il. « Je savais exactement vers quoi j’allais en m’engageant dans mon mandat. »
Un lobbying de longue date
La réforme ne s’est pas faite en 60 jours. Il n’est pas difficile d’y déceler la patte de DRH influents depuis de nombreuses années. « L’ANDRH avait pris position en faveur de la fusion des instances représentatives du personnel dès 2011,» rappelle Jean-Christophe Sciberras, à l’époque président de l’association. « Renvoyer les négociations vers les entreprises, regrouper les instances représentatives du personnel, renforcer la flexi-sécurité font partie des idées prônées depuis longtemps par l’ANDRH,» confirme Jean-Paul Charlez, son actuel président. En septembre 2015, le rapport de Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’Etat, au premier ministre, intitulé « La négociation collective, le travail et l’emploi », contenait en germe des préconisations qui structurent les textes actuels. « La réforme est l’aboutissement de débats sur les accords d’entreprises qui remontent à loin, » mesure Yves Barou. Pour autant, la partie n’est pas encore gagnée pour les DRH. « Ce n’est pas la loi qui fait le dialogue social. Encore faut-il que les acteurs en aient envie. »
20 septembre 2017 7:17