Projet Accord “droit à la déconnexion” : une fumisterie
Accord « droit à la déconnexion » : Non à ce texte qui laisse volontairement le champ ouvert à l’envahissement du travail sur les vies privées…
L’AFPA propose aux organisations syndicales de signer un accord sur le droit à la déconnexion.
Le projet de la direction de l’AFPA reprend toutes les « bonnes et creuses pratiques » :
- Exemplarité des managers (….)
- Respect de l’équilibre vie privée et vie professionnelle
- Optimisation des réunions
- Bon usage des courriels
- Formation et sensibilisation à l’usage raisonnable des outils numériques ».
- Etc dans le blabla
On comprend mieux à la lecture de la fiche « droit à la déconnexion » (lien) de la “boîte à outils” de Solidaires combien cette approche qui délègue au salarié la responsabilité de sa pratique numérique est piégeante. A la façon d’un Cheval de Troie, les écrans connectés ramènent le travail dans la vie privée et rendent obsolètes les 35 h légales de travail hebdomadaire. D’ailleurs, selon les termes de l’accord, c’est bien le salarié qui est responsable de sa “sur connexion” ! (1)
L’objectif réel de la direction est double :
- surtout ne pas couper une des sources du travail supplémentaire non payé,
- dédouaner l’AFPA devant les tribunaux, si jamais des salariés réclamaient.
Le vocabulaire employé par l’AFPA est révélateur : il n’est pas fait référence aux heures de travail, la direction utilise les termes de jours travaillés, de temps de déconnexion et de temps de connexion. Le temps de connexion affranchi de référence aux heures de travail a toute latitude pour s’étendre !
Rappelons quelques évidences :
- Le droit à la déconnexion n’est que le droit de ne pas travailler en dehors du temps de travail. Une banalité donc. Les patrons ont tellement abusé des potentiels des outils numériques que la loi (et quelle loi, la loi travail !) a dû siffler la fin de la récréation et créer le « droit à la déconnexion ».
L’abus est même devenu tellement naturel que la direction de l’AFPA peut écrire qu’«aucune sanction ne pourra être engagée à l’égard d’un collaborateur exerçant son droit à déconnexion dans les conditions précitées à savoir le salarié qui n’aurait pas répondu à un appel téléphonique ou à un courriel reçu via ses outils professionnels sur son temps de déconnexion ». Encore heureux que le salarié ne soit pas sanctionné parce qu’il ne travaille pas …en dehors de son temps de travail (on notera l’emploi de l’expression « sur son temps de déconnexion »)
- En effet, toute connexion à un outil professionnel est du travail. Et le travail se fait pendant le temps…de travail. Pendant les 35 heures.
- Si ce temps de travail est allongé au-delà de la durée légale, il y a heures supplémentaires ; si un salarié est obligé de laisser son téléphone professionnel allumé pendant le week-end pour répondre à des appels d’urgence, il y a astreinte et l’employeur doit payer (Cour Cassation 12 07 2018, N° 17-13029 condamnant un employeur à payer plus de 60 000 € à un salarié)
La connexion aux outils informatiques professionnels n’est qu’une des modalités d’exécution du contrat de travail. Le salarié est lié à l’employeur, à sa disposition, joignable, prêt à recevoir ses ordres et à s’y conformer. Ainsi le salarié est d’abord connecté à l’employeur puis par l’employeur aux outils de celui-ci.
Il ne faut pas se tromper de combat, la connexion aux outils numériques est d’abord une connexion à l’employeur. Et c’est bien cette connexion-là qu’il s’agit de couper, passées les 35 heures de travail.
Il n’y a pas plusieurs moyens d’assurer la déconnexion : la direction doit couper le robinet. Et non pas, comme elle le prétend, laisser chaque salarié réguler sa connexion. Autant ordonner à la poule de gérer ses déplacements en présence du renard.
Pour SUD FPA, la régulation de la connexion est définie par le code du travail. Connexion à l’employeur = 35 heures. Et c’est la responsabilité de l’employeur qui est engagée en cas de dépassement de cette durée (obligation de résultat en termes de santé et de sécurité, heures supplémentaires, travail dissimulé…)
On l’aura compris, SUD FPA ne signera pas ce projet d’accord, qui est une fumisterie. Et espère que les autres syndicats en feront autant afin que la direction de l’AFPA soit comptable de ses fautes.
Enfin, pour que l’employeur soit dans l’impossibilité de les solliciter en dehors du temps de travail, SUD FPA recommande aux salariés plusieurs précautions :
- laisser les outils professionnels (téléphone, ordinateur…) là où ils doivent être…dans un tiroir du bureau de l’entreprise,
- ne pas charger d’applications professionnelles sur ses outils personnels.
Un seul conseil « Pour préservez votre santé débranchez-vous du travail lorsque vous le quittez».
Bonne déconnexion !
(1) Si le salarié doit se “sur connecter”, la responsabilité en incombe à l’organisation du travail mise en place par l’employeur.
Cas pratique : la plateforme Métis s’invite à l’apéro
Il est bien dommage que les négociations « droit à la déconnexion » n’aient pas été l’occasion d’apporter de réelles solutions à la dégradation des conditions de travail engendrées par le numérique.
Dans les faits, les salariés sont déjà largement touchés.
S’il fallait un exemple pour l’illustrer, l’expérimentation POEC (se prononce « pouék ») digitale qui vante la possibilité aux stagiaires de se former à un métier en restant à la maison peut à l’insu de leur plein gré entraîner les formateurs à une relation pédagogique envahissante.
Dans ce système qui repose sur Metis, la déclinaison maison de la plateforme de formation Moodle, les stagiaires sont à même d’interroger leur formateur à tout moment. Bien davantage que dans les ateliers ou les salles de cours, la multiplication des requêtes individuelles peut rapidement tourner au cauchemar pour le formateur. L’employeur n’a nul besoin de lui demander de continuer de venir en aide aux stagiaires alors qu’il a quitté son travail. Ce sont les stagiaires qui le font ! Soucieux de bien faire, les collègues sont souvent tentés d’anticiper depuis leur domicile et prendre en charge les questions en attente. A l’expérience ils savent qu’un stagiaire qui ne reçoit pas de réponse peut rapidement alerter son prescripteur, dénoncer le manque d’appui sur le réseau, ou abandonner précipitamment sa formation. Devant cette menace, les formateurs renoncent à la frontière entre le travail et la vie privée et s’exposent à des risques pour leur santé.
La gestion à distance des formations numériques se révèle à l’usage extrêmement chronophage pour le formateur qui croule très vite sous le poids des copies à corriger, des classes virtuelles à animer… La mise à disposition de ressources ne résoud pas tout, avec le numérique il reste beaucoup à faire pour mener et animer les formations. Si cette charge de travail est sous estimée, et si le formateur est de surcroît sollicité en parallèle sur d’autres activités, il ne parvient plus à tout gérer dans sa journée de travail et pour éviter de passer pour un incompétent, il va à son tour se connecter pour résorber cette charge de travail, une fois rentré à la maison.
C’est à l’Afpa de protéger la santé des salariés et pour ce faire elle doit définir clairement, auprès des formateurs comme des stagiaires, le cadre du travail, le temps consacré à celui-ci et veiller à la charge de travail.