Un autre code du travail est-il possible ?
Eric Beynel Porte-parole de Solidaires Revue Droit social 2018 p227
« La loi, c’est une couverture pour une personne dans un lit deux places où sont couchés trois types par une nuit glaciale. On aura beau tirer dans tous les sens, y aura jamais assez pour couvrir tout le monde et quelqu’un finira forcément par choper une pneumonie. »
Robert Penn Warren, Tous les hommes du roi
Depuis 2015, la question du travail et plus particulièrement du code du travail est devenue centrale non seulement dans le mouvement social mais aussi dans la société tout entière. Les attaques se sont succédé contre cet outil qui tente de remettre un peu d’équilibre à l’intérieur des entreprises face à la toute-puissance dévastatrice du lien de subordination. Comme toujours, ces attaques se sont appuyées sur une bataille pour obtenir l’hégémonie culturelle sur les termes et les objectifs des capitalistes.
C’est ainsi qu’est d’abord apparu en 2015 le brûlot d’Antoine Lyon-Caen et Robert Badinter « Le travail et la loi », que l’on avait connus bien mieux inspirés, l’un comme l’autre. Enfilant la métaphore alimentaire sur la soi-disant obésité dudit code et son caractère indigeste, ils préparaient le terrain de la mission Combrexelle puis de la mission Badinter et enfin de la loi El Khomri, celle-ci reprenant au pied levé certaines idées du ministre de l’Économie d’alors, un certain Macron. Les ordonnances dudit Macron sont venues en septembre 2017 apporter d’importantes régressions supplémentaires.
Solidaires ne peut que féliciter le GR-PACT d’avoir osé braver les vents contraires et d’avoir lancé dans le débat public une proposition de code du travail porteuse de l’idée, loin d’être désuète, d’un code au service du progrès social, garant de la protection des travailleuses et des travailleurs. Sur ce point d’ailleurs, lorsque nous eûmes l’occasion d’échanger avec les rédactrices et les rédacteurs de ce code, nous avions suggéré d’en modifier le titre pour en renforcer le sens et de le proclamer désormais « Code des travailleuses et des travailleurs ». Nous avions aussi émis la revendication que ce texte soit féminisé, cela nous semblait tout à fait important.
Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de débattre et d’échanger sur le fond de ce texte avec les initiateurs. Comme souvent dans ce genre de texte, nous aurions plus tendance à marquer les points de désaccord que les nombreux points d’accord. Nous tenons toutefois à souligner la richesse des échanges que nous avons pu avoir avec le collectif des rédactrices et rédacteurs, aussi bien en lien avec nos commissions, comme celle sur la santé et les conditions de travail, qu’avec nos instances nationales qui ont consacré plusieurs heures à ce projet. Faire oeuvre de construction collective, ouvrir des échanges, proposer des pistes sont des actes éminemment précieux dans cette période d’admonestation, de verticalité et d’hégémonie libérale dans le pire sens du terme.
En matière de conditions de travail, nous avons discuté le fait de retenir la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de la santé, laquelle se réfère à la qualité de vie au travail. Et d’importants échanges ont eu lieu sur la responsabilité de l’employeur et la jurisprudence relative à l’obligation de sécurité de résultat. Les heures de délégation nous sont apparues trop limitées. Les débats furent parfois vifs, il faudra les poursuivre.
Nous avions trouvé intéressantes la nouvelle dénomination en comité de santé et des conditions de travail et surtout la mise en place d’une élection pour ce comité. Nous pourrons continuer à nous battre de concert sur ces deux aspects. Manquaient encore, à nos yeux, des éléments essentiels comme un droit de véto sur les réorganisations, un droit de retrait collectif et des éléments sur les questions environnementales encore trop succinctes. Enfin, la question de la pénalisation doit aussi avoir sa place.
Nous avons organisé avec nos camarades de Sud Travail une confrontation publique entre les rédacteurs de la proposition de code et des représentants de Solidaires, à la Bourse du travail. Il en est résulté des vidéos, qui peuvent être intégralement visionnées sur Internet (1).
Allons plus loin encore que le GR-PACT ! Le patronat s’accorde à dire qu’il faut dégraisser le code du travail. Eh bien chiche ! Dégraissons ! On entend dire que le code du travail s’alourdit d’année en année. Ce n’est pas faux. Est-il pour autant de plus en plus protecteur ? Il l’est, mais seulement pour les patrons !
L’entrepreneur aime à se présenter comme un individu qui s’est fait lui-même, un self made man. Mais, sans craindre le paradoxe, il ne cesse de quémander des aides. Des aides de l’État, des aides de la région, des aides des communes, des aides de l’Europe, des aides de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat)… Et il entend bien ne jamais informer une organisation ou une institution que des aides ont déjà été obtenues ailleurs. Certains patrons sont passés maîtres dans l’art de demander et de cumuler les aides. Et, simultanément, ils ne veulent pas qu’on se mêle de leurs affaires. Ils veulent remplir leurs caisses d’argent public, mais ne rendre aucun compte. Le peu de justificatifs qu’ils doivent donner pour monter un dossier est toujours trop lourd. Alors que ces dossiers, pour la plupart, ne demandent même pas de renseigner sur le nombre de salariés, ni sur l’état financier de l’entreprise. Et les contrôles a posteriori, une fois l’aide obtenue, sont presque inexistants.
Alors oui, dégraissons le code du travail, mais à notre façon :
– enlevons tous les textes prévoyant des aides ;
– enlevons tous les textes prévoyant des abattements ;
– enlevons tous les textes prévoyant des ristournes ;
– enlevons tous les textes prévoyant des exonérations ;
– enlevons tous les textes rognant des droits à des salariés sous prétexte qu’ils sont dans une branche professionnelle particulière.
Et si les patrons ne sont pas d’accord, s’ils n’arrivent pas à se débrouiller sans aides, que faire ? Eh bien, simplifions-nous la vie, virons-les !
(1) https://vimeo.com/219854585 ; https://vimeo.com/219862502, https://vimeo.com/219905070